Extraits du livre : Françoise Burtz – L’Évangile de Noël – Association des amis de Françoise Burtz

Je suis née en Alsace, à Issenheim, d’une mère artiste-peintre et d’un père ingénieur.
Naître d’une maman peintre, aux pieds des Vosges, dans ce petit village d’Issenheim fut sûrement l’onction de ma vraie naissance.
Alors que la guerre en 1942 est toujours présente, le Retable d’Issenheim et le géant Maître Matthias Grünewald marquent à jamais ma vision d’enfant.
Je me souviens d’être retournée voir le tableau à dix-huit ans (âge où je préparais les Beaux-arts), suppliant l’artiste de devenir mon « père » dans l’art et de me donner quelque chose de son esprit.
Je fus comme hallucinée, engloutie par ce génie du silence, par sa modernité et ses synthèses théologiques.
À sa manière, déjà européen, ce peintre sera à jamais mon maître et comme un morceau de mon cœur, quelqu’un qui ne me quittera plus, sorte de parrain invisible.
J’entre aux beaux arts de Paris en 1962. Avec la révolution de mai 68, les normes esthétiques sont remises en question.
Je garde de cette période la conviction qu’au delà des complaisances passagères, c’est une recherche de l’absolu qui pousse les artistes à mettre en question le conformisme.
Mon absolu à moi, je le trouve alors dans un retour à la foi chrétienne, dans la découverte des mystiques chrétiens et des Pères de l’Église.
Je fis alors des études de théologie à Fribourg (Suisse) et m’installai ensuite dans le Nord de la France, auprès de théologiens animés par l’évangélisation. J’intègre actuellement un ermitage, atelier de peinture, près de la Trappe du Mont des Cats dans le Nord de la France.

Extraits de la rubrique « Vie de Françoise » de la revue des AFB

Un jour Françoise demande à sa Maman, artiste peintre : « Mère, qu’est-ce que l’art »
« Tu me demandes ce qu’est le génie ? »
« Oui, Mère »
« Eh bien, le génie c’est de faire palper l’âme. »
Depuis, Françoise a fait sienne cette définition maternelle. Elle dit elle même « Tout mon art et mes yeux sont reliés à dire l’âme des choses, à dire la vie intérieure de chaque être ».

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Une des choses les plus étranges de mon enfance fut de ne pouvoir comprendre ni retenir les chiffres qu’en les associant à une couleur. Je m’en souviens toujours ; en voici l’ordre :
1 = noir ; 2 = rouge ; 3 = bleu ; 4 = marron ; 5 = vert ; 6 = jaune clair ; 7 = violet ; 8 = orange ; 9 = marine ; 10 = gris ; 11 = vert sombre ; 12 = rose ; 13 = jaune foncé ; 14 = ivoire ; 15 = indigo.
De 16 à 30 j’imaginais des mélanges de teintes ; à partir de 30, je mélangeais trois couleurs ; à 40, quatre ; à 50, cinq ; à 60, six etc…
Maman découragée me mena chez le psychiatre qui n’avait jamais vu cela. Il me fit faire test sur test pour en définitive dire à maman qu’il ne fallait en aucun cas m’empêcher de peindre.
Mon amour des teintes laissait entrevoir un besoin d’expression. Ce besoin d’expression était réel… Mais quant à devenir bonne en math, hélas, ce fut autre chose !

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J’avais 4 ans et demi et maman m’invita à venir contempler un arc-en-ciel, m’expliquant que c’était la palette du peintre.
Que n’a-t-elle dit là ! Aussitôt j’ai préparé une musette, mis dedans du pain, du fromage et du chocolat et me voilà partie en direction de l’arc-en-ciel.
On me chercha une soirée, une nuit et une matinée. On me retrouva en forêt, en pleurs, parce que je ne pouvais pas avoir la palette et les couleurs du ciel.

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Vers 6 ans j’étais folle de couleurs et le besoin d’avoir des tubes et des pinceaux pour m’exprimer m’obsédait.
Papa en partance pour Paris me promet des tubes de 7 couleurs et des pinceaux.
Terriblement énervée, je ne parvins pas à m’endormir. Mon cœur battait à se rompre et la joie m’étouffait.
Papa revenu m’offre enfin mon rêve. Aussitôt je m’enferme dans la chambre à coucher et barbouille tous les murs de fresques.
Pour moi c’était splendide. Pour les parents ce fut le désespoir ! Punie au pain et à l’eau, on m’enferma au grenier pour méditer sur mon avenir.

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Une chambre nous était interdite, c’était le bureau de papa ! De plus, dans ce lieu de travail siégeait un vase de grande valeur, que ma mère chérissait. Un soir, les parents absents, mon grand frère et moi jouions au foot dans le couloir, quand soudain il me dit : – Ouvrons la porte du fond, elle servira de goal ! J’avais six ans et demi, un doute me submergea : mais c’est le bureau de papa !
– Mais puisqu’on n’y entre pas !
Hélas, sur un de mes tirs des plus enlevés, le ballon de foot atterrit sur le vase et ce fut la catastrophe. Ma terreur était totale, car les colères de maman étaient mémorables. Aussi, lui dis-je d’un air libéré :
– Ce n’est pas moi, c’est la femme de ménage !
Mère la renvoya et je n’oublierai jamais le regard désespéré de cette femme et sa dignité.
Ma faute me tourmentait de plus en plus et j’en fis un tableau. Celui de l’ange gardien me reprochant mon mensonge.
Je finis par confesser à ma mère la vérité. La punition fut terrible. Je dus même faire mes excuses à la bonne. Ma maman refusa de m’embrasser pendant huit jours et je dus manger seule à la cuisine. Parmi tous les déménagements d’une vie, ce tableau est toujours là. Il témoigne, et quand je le regarde, j’ai mal.

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Maman me faisait la catéchèse… et m’expliqua comme elle pouvait le mystère de la Trinité. J’avais 7 ans et demandai à voir des images. Entre autres je vis la reproduction d’Andreï Roublev.
Je ne dis rien et partis sous l’impulsion de l’Esprit Saint prier et peindre moi-même une Trinité. La composition en était originale et personnelle. Quand maman vit le tableau, elle se mit à pleurer : « Si cela vous fait de la
peine, maman, on l’effacera ! ». Mais elle me serra contre elle et partit.
Mon frère vint regarder. Il se moqua de mes visages non aboutis d’après lui.
Le plus curieux de cette aventure c’est qu’à la suite de nombreux déménagements, la plupart de mes tableaux furent perdus, sauf cette Trinité dont l’émotion me submerge quand je la regarde.
Quand je reçus la visite du Père Abbé du Mont des Cats (Dom Guillaume) il alla droit sur ce tableau et me le demanda pour l’abbaye !
Quand je lui expliquai que c’était là une oeuvre d’enfance, il ne dit rien et m’invita à prier.

 

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En Suisse, les missionnaires laïcs lui commandent une porte de tabernacle. Elle peint, elle pleure et pleure… Vers 21h, les missionnaires laïcs viennent la voir et lui demandent ce qui ne va pas. « Je suis aveugle » leur répond Françoise qui ne s’était pas rendu compte qu’elle n’avait cessé de peindre depuis 8h le matin.

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Françoise a dessiné beaucoup de vitraux – vous pourrez en admirer certains dans la revue. La plupart d’entre eux ont été réalisés par les ateliers Loire de Chartres.
D’autres dessins ont été transformés en vitraux par Françoise elle-même dans les ateliers Loire et avec leurs conseils. C’est le cas de ceux qui ornent la chapelle du Foyer de Charité à Courset.
Il lui fut difficile de transformer un dessin sur carton de quelques dizaines de centimètres en paroi de verre de plusieurs mètres de haut et de large, de jouer avec les nuances de couleur de chaque verre, de rendre les couleurs mates du dessin en jeux de lumière… cela a demandé à Françoise beaucoup de travail. Il lui a fallu découvrir l’art du vitrail, pour la plus grande gloire de Dieu et le plus grand plaisir de nos yeux.

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Comment par la force des choses, je suis passée de l’état d’artiste peintre à celui d’écrivain. Alors que je terminais les vitraux pour le foyer de charité de Courset, je m’aperçus que quelque chose n’allait pas ! Le maître verrier me dit : « Ce vert n’est pas très heureux ». – « Mais, lui dis-je, ce n’est pas un vert mais un bleu ! » Et plus tard, au Père Bernard : « Votre anorak bleu devient âgé et sale » et il me dit « Il n’est pas bleu mais vert ». Et soudain je paniquai… Claude Monet avait dû arrêter la peinture à cause de la cataracte. Ainsi, je ne voyais plus les couleurs ! Ne peignant plus, j’errais sur le mont des Cats, me demandant ce que Dieu pouvait vouloir de
moi ? Plus tard, j’allais à Medjugorge et la Sainte Vierge me sauva de justesse. J’allai aux urgences à cause d’un coup dans l’oeil. – « Si vous n’étiez pas venue aux urgences ce soir, demain vous étiez aveugle avec un décollement de rétine ». Et je reçus trois mille points de laser et peu après, je fus opérée de la cataracte.
L’Évêque me disait : « Patience, quand on travaille pour Dieu, se lèvent les obstacles ». Je n’osais plus peindre et, le pire, je fus brutalement privée de la présence de Dieu, perdant même le besoin de prier.
Un soir, ne supportant plus mon état, je pris la voiture et roulant très vite je ne savais même pas où j’allais… Quand subitement il se mit à neiger. Pour la vosgienne que j’étais, toute l’enfance revenait et j’étais au bord des larmes… Et soudain, ratant un virage, je fonçai droit dans un mur. Il était trois heures du matin et je me disais : « Ma vie va donc finir ici ». Quand brutalement, entre le mur et la voiture, se tenait un petit garçon (environ cinq à six ans) les bras en croix, il souriait. Je freinai tellement que la voiture tourna sur elle-même. Alors le petit bonhomme vint vers moi et la neige s’arrêta, une lune pleine apparût éclairant le paysage. Les monts de Flandre étaient visibles et l’enfant me les montrait avec son doigt. Soudain je me souvenais que lors de mon installation au Mont des Cats, ce même petit enfant était venu devant ma maison, dans sa main il avait trois cailloux et avec force il m’avait dit : « Ces trois cailloux sont à moi », et, me montrant les Monts de Flandre, « les monts sont à toi ». Mais à l’époque j’ai juste haussé les épaules !
Mais le revoyant là, à trois heures du matin, je n’osais plus rire.
Je rentrai chez moi, pris une feuille et écrivis le titre du futur livre : « Dialogue avec les Monts de Flandre ». Je n’ai plus jamais revu cet enfant. Ce jour-là, le souffle même de la grâce et l’enfance du Royaume passèrent sur moi.

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J’arrive à présent à mon adolescence. Après le « couvent des oiseaux » au Cateau (Nord) que faire de Françoise ? Ma sœur faisant médecine, nous ferons d’elle une infirmière, disait papa. – « Mais je veux faire les Beaux Arts de Paris ! » – Réponse des parents : « C’est un milieu impossible ! ».

Je fis donc un an d’infirmière, rue du Port à Lille. Jusqu’au jour où un grand patron de l’hôpital me prenant à part me dit : « J’ignore tout de votre avenir, mais il n’est sûrement pas dans le médical ; peut-être les sciences naturelles ou découvrir les coins cachés de la planète ; mais pas infirmière ! ok ?

Je me sauvai pour aller habiter et peindre à l’atelier de la monnaie (union d’artistes dans le vieux Lille). Et enfin, Paris !

J’habitais rue Champollion dans le V° et partais au Beaux Arts bravement chaque jour. Ah, que de souvenirs ! Pour vivre, nous jouions de la trompette, de la guitare dans les rues ou le métro. Puis le destin me fit entrer à l’atelier des frères Baschet qui faisaient des sculptures sonores et exposaient dans le monde entier. Ils faisaient aussi beaucoup de musiques de film dont, à l’époque, ceux de Cocteau. Par eux les portes de l’art moderne s’ouvraient vraiment et surtout, presque chaque jour j’étais en contact avec l’élite du « tout Paris ». J’étais comblée et pensais finir ma vie avec eux. J’y mesurais aussi les impasses de l’art moderne. Un jour, exposant avec « Klein » au musée d’art moderne de New York, le gamin du portier, traversant les salles et regardant les tableaux qui ressemblaient à des échantillons de peinture (un tableau vert, un tableau rouge, noir et un tout bleu), jouant avec son bubble-gum, l’envoya direct sur le tableau. Le soir même, le directeur du musée réunit les exposants (sauf Klein) pour savoir si, oui ou non, c’était la pensée de l’artiste de mettre un bubble-gum au milieu de sa toile ?

De retour à Paris, ce fut l’effervescence car nous préparions une exposition au Louvres (pavillon de Marsan). Il y avait Malraux, le directeur de la revue Planète, de nombreux artistes et journalistes très connus et je ne m’attendais, certes pas, à ce que Dieu vienne me chercher là !… (à suivre)

Extraits de la rubrique « Vie de Françoise » de la revue des AFB